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Quand les Magiciens Célèbres se sont fait la Guerre

La magie, au-delà des paillettes et de l’émerveillement, est un monde de secrets jalousement gardés, de techniques arrachées dans l’ombre… et parfois de querelles enflammées.

Qu’il s’agisse de disputes sur l’origine d’un tour révolutionnaire, de plagiat d’un numéro, ou d’une guerre d’ego sur la scène mondiale, les grands magiciens ont souvent été de féroces concurrents. Certaines de ces histoires sont devenues mythiques et ont laissé une empreinte durable sur l’art de l’illusion.


Plongeons dans les 5 rivalités les plus emblématiques de l’histoire de la magie, et découvrons comment ces duels ont forgé les carrières… et parfois détruit les réputations.


Horace Goldin vs P.T. Selbit

Horace Goldin vs P.T. Selbit : La guerre de la femme sciée en deux


L'invention qui a changé la magie


En 1921, P.T. Selbit, illusionniste britannique, crée un numéro qui va bouleverser l’histoire : “Sawing Through a Woman” – littéralement, couper une femme en deux. L’impact est immédiat : choc, fascination, buzz total. C’est une première dans le monde de la magie scénique.


Mais à peine quelques mois plus tard, Horace Goldin, magicien d’origine lituanienne, réplique avec une version bien plus théâtrale et sanglante, attirant l’attention du public américain. Son style plus visuel, avec lames apparentes et cris de l’assistante, fait sensation.


La bataille juridique et médiatique


Selbit accuse Goldin de plagiat. Goldin réplique par des brevets pour “protéger” sa version du tour, et traîne tous ceux qui utilisent des variantes devant les tribunaux. S’ensuit une guerre de procédures, de dénonciations, et de manœuvres dans la presse.


P.T. Selbit et la femme coupée en deux

Chaque magicien accuse l’autre de vol, d’opportunisme, et tente de s’approprier la gloire d’avoir créé le tour le plus marquant du XXe siècle.


Qui a vraiment inventé le tour ?


Historiquement, Selbit est le premier à avoir présenté une version “acceptable” pour la scène. Mais c’est Goldin qui a popularisé et commercialisé le numéro à l’international.


Cette rivalité a mis en lumière un des enjeux majeurs de la magie : la propriété intellectuelle des illusions. Qui peut revendiquer une idée dans un art fondé sur le secret ?

 

Alexander Herrmann vs Harry Kellar : Les illusionnistes en quête de suprématie


Alexander Herrmann vs Harry Kellar

Deux géants du XIXᵉ siècle


À la fin des années 1800, Alexander Herrmann, dit “Herrmann the Great”, est une figure incontournable : élégance, moustache flamboyante, charisme scénique. Il incarne la magie de haut vol, tournée vers le public aristocratique.


Son rival direct : Harry Kellar, plus sobre mais non moins talentueux, est déterminé à devenir le plus grand illusionniste américain.


Une compétition commerciale féroce


Les deux magiciens sillonnent les États-Unis avec des tournées grandioses. Ils se copient, se défient, se contournent, chacun essayant de proposer les versions les plus spectaculaires des classiques : lévitations, disparitions, illusions mécaniques...


Kellar, plus rusé dans les affaires, investit dans la logistique et la publicité. Herrmann mise sur son image et sa présence scénique. Les affiches des deux s’enchaînent dans les journaux, et leur affrontement devient un véritable feuilleton médiatique.


L’héritage des deux titans


Herrmann meurt subitement à 52 ans, laissant Kellar reprendre la tête de la scène magique. Ce dernier, par respect, assiste à ses funérailles — un signe que malgré la rivalité, le respect professionnel subsistait.


Leur duel a marqué la transition de la magie d’un art élitiste à un spectacle populaire, et pavé la voie pour des légendes comme Thurston et Houdini.


Ching Ling Foo vs Chung Ling Soo : Quand l’imitation vire au scandale


Ching Ling Foo vs Chung Ling Soo

Deux magiciens… un seul style


À la fin du XIXe siècle, un vent d’exotisme souffle sur les scènes de magie occidentales. C’est l’ère du mystère oriental, et l’illusionniste chinois Ching Ling Foo en est la figure de proue. Costumes traditionnels, apparitions d’objets improbables, souffle de feu : son style enchante le public occidental avide d’exotisme.


Mais voilà qu’un certain Chung Ling Soo apparaît sur scène… avec un numéro quasiment identique. Même allure, même décorum chinois… sauf que Chung Ling Soo n’est pas asiatique : c’est William Ellsworth Robinson, un illusionniste américain qui joue à fond le rôle du “magicien chinois silencieux”.


L’usurpation assumée… mais jamais admise


Robinson refuse toute interview en anglais, ne sort jamais de son personnage, et pousse l’illusion jusqu’à l’extrême. Il devient une star du circuit londonien, au grand dam de Foo, qui le traite de voleur d’identité et de tricheur.


Ching Ling Foo, enragé, lance publiquement un défi à son double : "Si tu es vraiment chinois, viens me le prouver devant la presse." Soo décline, préférant entretenir le mystère. Le public, lui, se délecte du spectacle… et des tensions en coulisses.


Une fin tragique et spectaculaire


Le drame survient en 1918. En plein numéro, Chung Ling Soo meurt sur scène, en tentant un tour extrêmement risqué : "The Bullet Catch". Cette fois, la magie échoue. La balle ne s’arrête pas. Il s’effondre sur scène… et meurt devant le public. Dans ses derniers mots, il parle anglais – révélant au monde entier qu’il n’était pas chinois.


Ce duel improbable entre authenticité et imitation reste l’un des plus troublants de l’histoire magique. Il soulève encore aujourd’hui des questions de culture, d’appropriation, et de sincérité scénique.

 

Jean-Eugène Robert-Houdin vs Houdini : Entre admiration trahie et vengeance littéraire


Jean-Eugène Robert-Houdin vs Houdini

L’un est une légende française, l’autre un mythe américain


Jean-Eugène Robert-Houdin est considéré comme le père de la magie moderne. En France, il a transformé la magie foraine en un art raffiné, présenté sur scène avec élégance, style et ingéniosité. Il introduit les automates, les illusions mécaniques, et inspire toute une génération de prestidigitateurs européens.


À la fin du XIXᵉ siècle, Erik Weisz, plus connu sous le nom de Harry Houdini, tombe sous le charme de son œuvre. Il adopte son nom de scène en son honneur, ajoutant un “i” final pour créer Houdini, se proclamant son héritier spirituel.


Le pèlerinage qui tourne au drame


Peu après le début de sa carrière, Houdini décide de venir en France, près d'Orléans pour rencontrer la veuve de Robert-Houdin, espérant être adoubé comme son successeur. Mais la rencontre ne se passe pas comme prévu : la veuve exigeante, refuse catégoriquement de lui accorder cette reconnaissance. Elle juge Houdini trop mécanique, dépourvu de la subtilité et du raffinement qui faisaient la magie de son mari.


Blessé dans son orgueil, Houdini passe de l’admiration à la rancune. Il s’acharne dès lors à détruire la légende de Robert-Houdin, et publie en 1908 un ouvrage incendiaire : “The Unmasking of Robert-Houdin”, dans lequel il tente de démontrer que le magicien français n’était qu’un usurpateur, attribuant à tort des inventions à son nom.


Un ouvrage remis en cause par les historiens


Avec le recul, les historiens s’accordent à dire que ce livre est rempli d’erreurs, de mauvaise foi et de falsifications. Houdini, excellent magicien mais aussi maître en communication, a su imposer sa version des faits à un large public anglophone.


Mais aujourd’hui, dans le monde de la magie, Robert-Houdin conserve une aura intacte. Son influence est reconnue, ses apports techniques et esthétiques sont salués, et son nom reste synonyme d’élégance et d’innovation.


Les autres imitateurs et détracteurs de Robert-Houdin


Au-delà d’Houdini, Robert-Houdin a souvent été copié, voire plagié. Certains magiciens contemporains ont tenté de reprendre ses inventions, ses mécanismes ou même son style sans lui rendre hommage. Dans ses écrits, Robert-Houdin dénonçait lui-même les “charlatans” qui détournaient l’art magique à des fins de profit ou de mystification pseudo-scientifique.


Ce climat de tension autour de sa figure a contribué à faire de lui une figure presque mystique dans l’histoire de la magie : respecté, jalousé, parfois trahi… mais jamais oublié.

 


Giuseppe Pinetti vs Torrini de Grisy : Les pionniers en opposition


Giuseppe Pinetti vs Torrini de Grisy

Le théâtre de la magie naissante


Au XVIIIᵉ siècle, Giuseppe Pinetti, illusionniste italien, éblouit les élites européennes avec ses tours mathématiques, ses automates et ses expériences pseudo-scientifiques. Il est considéré comme l’un des premiers “magiciens modernes”, capable de donner à la magie une dimension spectaculaire et intellectuelle.


Face à lui, Torrini de Grisy, magicien parisien, monte un numéro concurrent, fortement inspiré de celui de Pinetti. La rivalité entre les deux hommes se développe dans les salons parisiens, les cercles aristocratiques et les théâtres. Chacun tente de surpasser l’autre en ingéniosité… et en stratégie de communication.


Un duel d’approche : entre science et mystère


Pinetti se présente comme un homme de science, revendiquant des démonstrations proches de l’expérience physique. Torrini, lui, joue sur le mystère, le surnaturel, et attire un public plus ésotérique. Leurs oppositions dépassent la technique : elles reflètent deux visions de la magie, presque philosophiques.


Des pamphlets circulent. Les journaux prennent position. Les spectateurs se divisent. Cette rivalité met en scène les débuts du marketing magique, où il ne suffit plus de bien exécuter un tour… il faut raconter une histoire, imposer un style.


Une rivalité fondatrice… encore visible aujourd’hui


Peu connue aujourd’hui du grand public, la querelle entre Pinetti et Torrini est fondamentale pour l’histoire de la magie. Cette opposition entre illusion transparente et mystification obscure a marqué l’évolution de la magie. Et elle résonne encore aujourd’hui dans les confrontations modernes entre magiciens et pseudo-scientifiques.


Un exemple célèbre ? La rivalité entre James Randi, illusionniste sceptique, et Uri Geller, célèbre pour ses prétendues capacités paranormales. Randi, dans la lignée de Pinetti, cherche à démystifier les imposteurs, tandis que Geller revendique des dons inexplicables, à la manière de Torrini.


Ainsi, la rivalité entre Pinetti et Torrini est plus qu’un simple conflit personnel : elle pose les bases d’une tension toujours présente dans la magie contemporaine, entre spectacle et vérité, entre illusion choisie et manipulation douteuse.


Conclusion


Les rivalités entre magiciens célèbres ne sont pas de simples anecdotes : elles ont façonné l’histoire de la magie, autant que les tours eux-mêmes. Derrière les strass et les illusions se cachent des ego, des visions opposées, des combats pour la reconnaissance et l’héritage.Qu’elles soient nées d’une admiration déçue, d’une concurrence artistique ou d’un plagiat assumé, ces rivalités ont souvent poussé la magie à se réinventer.


Aujourd’hui encore, dans un monde où l’illusion s’invite sur les écrans autant que sur scène, l’esprit de ces confrontations perdure. Car après tout, c’est peut-être dans l’affrontement des styles que naît la plus grande magie.



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